image: High-resolution map of Patagonian glaciers surface mass balance (1940-2023), i.e., surface mass gain (blue) and loss (red), with a zoom in on three major icefields.
Credit: University of Liège / B. Noël
Au cours des vingt dernières années, les observations planétaires par satellites ont mesuré une fonte rapide des glaciers de Patagonie, ce qui a comme conséquence une élévation du niveau des mers d’environ 0,07 mm par an. Une étude publiée dans Nature Communications établit un lien entre cette perte de masse des glaciers de Patagonie et un déplacement des systèmes de haute pression anticycloniques subtropicaux vers le pôle Sud. Ce changement de circulation à grande échelle apporte plus d'air chaud en Patagonie, ce qui amplifie la fonte des glaciers.
Située entre le Chili et l'Argentine dans les Andes du sud, la Patagonie abrite la plus grande zone de glaciers - dont les plus humides - de l'hémisphère sud, juste après l'Antarctique. "Les Andes du Sud agissent un peu comme une barrière naturelle qui bloque l'humidité apportée par les vents d'ouest traversant l'océan Pacifique, explique Brice Noël, climatologue à l'ULiège. Par conséquent, les glaciers reçoivent localement plus de quinze mètres de neige chaque année, notamment sur le flanc ouest des Andes." Alors que les glaciers se développent par accumulation de neige dans les régions les plus élevées, ils fondent également très rapidement à plus basse altitude. « Les glaciers peuvent s'étendre jusqu'au niveau de la mer, où l'air plus chaud entraîne une forte fonte estivale. Cette eau de fonte ruisselle vers l'océan et provoque une élévation du niveau marin. » Les scientifiques ont estimé que depuis les années 1940, les glaciers de Patagonie ont perdu plus d’un quart de leur volume total ce qui a élevé le niveau des mers de 3,7 mm.
Modèles climatiques à haute résolution
L'équipe de scientifiques des universités de Liège, Leuven et Delft a estimé le bilan de masse en surface de ces glaciers depuis 1940 - c’est-à-dire la différence entre les chutes de neige hivernales et le ruissellement de surface estivale. « Nous avons utilisé le MAR, notre modèle atmosphérique régional développé ici à l'Université de Liège », ajoute Xavier Fettweis, climatologue à l'ULiège. Le MAR, est un modèle climatique polaire qui représente les processus de neige et de glace sur une grille spatiale de cinq kilomètres, ce qui est insuffisant pour représenter les petits glaciers de Patagonie. « Une haute résolution spatiale est essentielle pour étudier le bilan de masse en surface des glaciers de Patagonie, nous avons donc affiné notre modèle pour atteindre une grille plus détaillée de 500 mètres », reprend Brice Noël. Les modèles à basse résolution ne peuvent ni représenter les langues glaciaires* étroites qui fondent rapidement, ni estimer des précipitations réalistes à travers le relief accidenté des Andes. « Du fait de sa résolution spatiale plus élevée, notre modèle s'aligne très bien avec les observations de fonte mesurées sur le terrain ou par satellite », confirme Bert Wouters, de l'Université de Delft.
Quels facteurs expliquent la fonte ?
Cette perte de masse en continu des glaciers depuis 1940 s’explique par l’augmentation à long terme du ruissellement d’eau de fonte vers l’océan, une conséquence du réchauffement atmosphérique en Patagonie. « Nous identifions l'augmentation du ruissellement d’eau de fonte comme le principal facteur expliquant la perte de masse des glaciers, car les chutes de neige sont restées stables depuis les années 1940 », explique Brice Noël. Le ruissellement de surface augmente lorsque le névé (ou firn), c'est-à-dire la couche de neige poreuse et persistante qui recouvre les zones les plus élevées du glacier, fond pour exposer la glace vive sous-jacente. « La glace vive est plus sombre que le couche de firn environnante. Elle absorbe donc plus d'énergie solaire, ce qui favorise la fonte causant ainsi un ruissellement accru », explique Stef Lhermitte de la KU Leuven.
Déplacement des anticyclones subtropicaux vers le pôle
Outre l'effet du réchauffement climatique, les chercheurs lient l'augmentation rapide de la température en Patagonie à un changement de circulation atmosphérique à grande échelle, déplaçant les systèmes de haute pression subtropicaux vers le pôle Sud. Ce déplacement a été observé au cours des quarante dernières années, et apporte plus d'air chaud vers la Patagonie, amplifiant ainsi la perte de masse. Les interactions océan-atmosphère à l'origine de ce changement de circulation sont dues au réchauffement climatique et persisteront probablement à l'avenir. "La fonte totale des glaciers de Patagonie pourrait aboutir à une élévation du niveau marin d’environ un centimètre supplémentaire, s'inquiète Brice Noël. Leur disparition mettrait en danger de nombreuses communautés sud-américaines dépendantes de l’eau de fonte estivale." Au rythme actuel de fonte, les chercheurs estiment que les glaciers de Patagonie pourraient disparaître d'ici 250 ans.
* Langue glacière est la partie du glacier qui s’étire en aval, comme une sorte de "bras" de glace qui descend dans une vallée ou sur un terrain plus plat.
Journal
Nature Communications
Article Title
Poleward shift of subtropical highs drives Patagonian glacier mass loss.
Article Publication Date
23-Apr-2025