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L’origine de nos doigts

Des scientifiques de l’UNIGE, de l’EPFL et du Collège de France montrent qu’une région régulatrice du génome, initialement dédiée à la formation du cloaque des poissons, a été cooptée par l’évolution pour guider le développement des do

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Université de Genève

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To develop their digits, ancestral tetrapods recycled an ancient region of the genome that was initially active in the formation of the fish cloaca. This is illustrated here by the expression of a Hox architect gene in the cloaca of the zebrafish (black dot).

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Credit: © Brent Hawkins, Harvard

Comment les doigts sont-ils apparus au cours de l’évolution? S’il est avéré qu’ils dérivent de programmes génétiques déjà présents chez les poissons, leur origine précise restait débattue. Une équipe internationale pilotée par l’Université de Genève (UNIGE) avec l’EPFL, le Collège de France et les universités Harvard et de Chicago apporte une réponse inattendue: les doigts seraient issus de la réutilisation d’une région ancienne du génome, initialement active dans la formation du cloaque des poissons plutôt que dans leurs nageoires. Publiée dans Nature, cette découverte révèle une stratégie évolutive majeure qui consiste à recycler l’existant plutôt que bâtir du neuf.


Il y a 380 millions d’années, nos ancêtres poissons commençaient à coloniser la terre ferme, évoluant en de nombreuses espèces vertébrées munies, notamment, de poumons efficaces pour filtrer l’oxygène mais aussi de pieds et de mains. Comprendre comment ces dernières sont apparues reste l’une des questions scientifiques les plus anciennes et les plus débattues. Sont-elles issues des nageoires, homologues de nos bras et jambes, ou, inversement, s’agit-il de structures totalement nouvelles?


Changement de perspective 

Pour répondre à cette question, l’équipe de recherche ne s’est pas contentée d’étudier les gènes impliqués dans le développement des doigts eux-mêmes, elle a également exploré les vastes régions non codantes du génome - l’ensemble des chromosomes et gènes d’une espèce ou d’un individu - qui contrôlent leur expression et leur activation. Ces régions sont appelées «paysages régulateurs». Immensément plus grandes que les régions codantes qui composent uniquement 2 % du génome, elles agissent comme de véritables «tours de contrôle» de l’expression génique.


En comparant le génome de la souris et du poisson, les scientifiques ont d’abord identifié un paysage régulateur conservé entre les deux espèces et impliqué dans le développement des membres de la souris. Puis, en supprimant cette gigantesque région d’ADN chez le poisson grâce à la technologie CRISPR/Cas9 – des ciseaux génétiques permettant l’édition du génome – l’équipe a observé la perte d’expression de gènes dans le cloaque, mais pas dans les nageoires.


Ce résultat surprenant suggère que le cloaque – organe où les systèmes intestinal, excréteur et reproducteur se rencontrent à leurs extrémités chez beaucoup d’espèces – a été réutilisé chez les vertébrés terrestres pour développer les doigts. «Le point commun entre le cloaque et les doigts est qu’ils représentent des parties terminales. Parfois la fin de tubes dans le système digestif, parfois la fin des pieds et des mains, autrement dit les doigts. Tous deux marquent donc la fin de quelque chose», mentionne Aurélie Hintermann, ancienne doctorante à l’UNIGE désormais postdoctorante à l’Institut Stowers (USA) et coautrice de l’étude réalisée dans le cadre de son doctorat.


Recyclage évolutif

En particulier, les paysages régulateurs concernés contrôlent l’activation des gènes Hox, dits «gènes architectes». Ils établissent le plan d’organisation du corps, en déterminant la position et l’identité de segments ou d’organes. Ils agissent au sommet d’un réseau complexe de milliers de gènes opérationnels en pilotant leur expression. Une mutation dans ces gènes peut donc entraîner de profondes modifications anatomiques, expliquant certainement leur implication déterminante dans l’évolution.


«Le fait que ces gènes soient impliqués est un exemple saisissant de la manière dont l’évolution innove, en recyclant du vieux pour faire du neuf», commente Denis Duboule, professeur à l’UNIGE et au Collège de France, et initiateur de l’étude. «Plutôt que de construire un nouveau système régulateur pour les doigts, la nature a détourné un dispositif existant, initialement actif dans le cloaque ».


Une nouvelle pièce dans le puzzle de l’évolution 

Ce ne sont donc pas uniquement les gènes opérationnels ou codants qui évoluent, mais surtout l’architecture de leur régulation. Et parfois, une région entière peut être recyclée dans un autre contexte morphologique, comme c’est le cas du cloaque aux doigts. Reste désormais à découvrir non plus où ces modifications apparaissent sur le génome, mais comment, afin de continuer à décrire les mécanismes de l’évolution et expliquer le passage d’un lointain ancêtre aquatique au poisson et à l’humain actuels.


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